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Tentative de suicide manquée : mère-fils ?a suivre
Le titre dans le Dauphiné libéré » il poignarde sa mère pendant son sommeil » a attiré mon attention : on touche ici à un tabou .
Les faits ont été commis , dans la nuit du 23 au 24 octobre 2015, à Vallouise dans les Hautes Alpes où la mère et le fils, d’origine marseillaise , étaient venus passés le week -end dans la résidence secondaire de la famille. Le père était resté à Marseille où le fils, 39 ans , et les parents habitent ensemble habituellement.
L’auteur de ce geste meurtrier a lui même alerté les pompiers pour qu’ils viennent porter secours à sa mère entre la vie et la mort . Le pronostic vital de la victime, agée de 59 ans est engagé, elle a été hospitalisée en urgence au Centre hospitalier de Briançon .
Les militaires de la Gendarmerie de la Brigade locale de l’Argentière -la-Bessée et de la brigade de recherches de Briançon, chargés de l’enquête, ont appréhendé le suspect dont les premières explications sont énigmatiques . Il aurait eu ce soir là le projet morbide de mettre fin à ses jours comme à ceux de sa mère à qui il a porté , pendant qu’elle était endormie, deux coups de couteau , l’un au cou et l’autre au thorax . Après ce geste il aurait renoncé à se tuer. Il n’était apparemment pas sous l’influence de l’alcool ou de la drogue, les analyses ultérieures permettront de le confirmer ou non . Il n’était pas suivi au plan psychiatrique ou psychologique et exerçait une activité professionnelle régulière.
Les premiers renseignements sur cette famille ne sont pas défavorables . Cependant , s’agissant d’un drame familial, les enquêteurs seront vraisemblablement conduits à approfondir le système familial tel qu’il fonctionnait ou dysfonctionnait et la nature des relations entre ses membres. Une telle approche sera sans doute utile pour expliquer le geste de ce fils , frappé de l’indignité d’un des derniers tabous qui nous gouvernent .
Le meurtre ou sa tentative , avec cette circonstance qu’il a été commis sur un ascendant , est puni de la peine la plus haute dans notre droit , la réclusion criminelle à perpétuité.
Un peu de sociologie de l’économie ….
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LU dans la revue Esprit: Les élections européennes et la crise des partis
Entretien avec Christophe Sente collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles. Voir son dernier article dans Esprit, « Faut-il attendre une refondation de la social-démocratie ? » (août-septembre 2013) Il cite Peter Mair[1]. Voir On Parties, Party Systems and Democracy. Selected Writings of Peter Mair, Colchester, ECPR Press, 2014.et Vivien Schmidt[2] Vivien A. Schmidt et Mark Thatcher, Resilient Liberalism in Europe’s Political Economy, Cambridge, Ca
Propos recueillis par Alice Béja dont les questions , toutes interessantes, sont reproduites dans leur intégralité . Les réponses sont un peu décevantes et reproduites par voie d’extraits .
AB- Les résultats des élections confirment la majorité détenue par le Parti populaire européen (droite) au Parlement. A rebours de l’atmosphère politique en France, où la première place du FN fait figure de « séisme », il semble donc que la politique européenne soit plutôt placée sous le signe de la continuité. L’arrivée de députés issus de divers mouvements eurosceptiques peut-elle modifier cette politique ?
CS. Il répond qu’ en Europe a prévalu une alliance ou une alternance de partis gouvernementaux européistes « même si , ajoute -t-il on assiste dans plusieurs Etats à l’émergence de challengers « eurosceptiques ».( Front national, UKIP (le parti eurosceptique anglais) ou le parti du peuple danois respectivement en France, en Grande-Bretagne et au Danemark.(…) Selon lui « Aujourd’hui, les députés européens « eurosceptiques » (…) resteront dans une position de relative faiblesse tant qu’ils ne disposeront pas d’alliés suffisants au sein des gouvernements nationaux (…) »
CS. Il répond avec prudence que la relation à l’Europe est compliquée,que la situation actuelle peut être interprétée différemment mais sans doute « à l’aune d’une fragmentation de systèmes multipartites nationaux là où le parti au pouvoir convainc difficilement du bien-fondé de choix nationaux qu’il justifie par les traités européens. »(…)
Comment expliquer que les habitants des pays d’Europe du centre et de l’est, pourtant parmi les plus pro-européens lorsqu’on les interroge, votent si peu aux élections européennes (la Pologne, souvent présentée comme l’élève modèle de l’Union, est également lanterne rouge en termes de participation) ?
CS « C’est de façon beaucoup plus générale qu’on assiste en Europe à un déclin de la participation politique. Ce déclin s’exprime au travers de l’abstention électorale, (…) ainsi que d’un désengagement plus général par rapport aux formes organisées de la participation telles que les partis et les syndicats, mais également les coopératives et les mutuelles.(…)
‘ »Si la xénophobie est loin d’avoir disparu, elle ne paraît plus alimentée par une théorie raciale et raciste, mais plutôt soit par une remise en question du champ d’application géographique du principe de solidarité, soit par une référence paradoxale à un modèle européen de libertés individuelles. »
AB-Le Parti socialiste européen est en recul en termes de nombre de sièges au Parlement. Ces élections – maintien de la droite, montée des mouvements populistes – sont-elles un nouveau révélateur de l’échec de la social-démocratie dans le contexte de la crise ? D’une impossibilité à sortir d’un discours du « il n’y a pas d’alternative », qui risque de s’aggraver avec le maintien d’une majorité de droite ? Plus généralement, ces élections posent-elles la question de l’avenir du bipartisme, remis en cause dans plusieurs pays (Grande-Bretagne, Italie, France), ou n’est-ce qu’un effet d’optique du scrutin européen ?
CS (…) l’évidence de l’inefficacité technique des remèdes monétaristes à la crise ne porterait pas fondamentalement atteinte à la quasi-hégémonie des options économiques et sociales importées par le thatchérisme dans l’imaginaire collectif européen. Le fait que la plupart des partis eurosceptiques ne rompent pas complètement avec de telles options confirme cette analyse.
Conclusion de l’interviewé . « .Dans un tel contexte, la démocratie européenne a moins besoin de réformes électorales qui consolideraient techniquement la position dominante, à présent érodée, de partis traditionnels, que d’un débat sur les politiques économiques et les objectifs sociaux de l’Europe. »
Alain Caillé : Utilitarisme, don et politique
Alain Caillé, sociologue français né en 1944, dirige la Revue du M.A.U.S.S ( Mouvement antiutilitariste dans les sciences sociales ) depuis sa création dans les années 1980 . Inspirateur du philosophe Jean-Claude Michéa, il est l’un des chefs de file importants de la critique de l’économie contemporaine.
Ses ouvrages récents :(1) Pour un manifeste du convivialisme, 2014 Le Bord de l’eau, 120 p., 14,80 €.(2) Don, intérêt et désintéressement : Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, Le Bord de l’eau, 220 p., 16,50 €.
Interviewé par Bertrand Rothé , journaliste de Marianne, Alain CAILLÉ concéde avoir beaucoup progressé sur la question de l’utilitarisme. Sa théorie du don y a une place particulière Il défend une conception humaniste du don , » un don qui ne soit ni du coté du calcul généralisé , ni du coté du sacrifice » . Dans la continuité de la pensée de Marcel Mauss ( 1872-1950) considéré comme le père de l’anthropologie française , comme un savant et un politique à la fois, proche collaborateur de Jean Jaures, A Caillé fait du don une affaire politique qu’il ramène à l’humain d’abord .
Alain SUPIOT du Collège de France
Eclairage sur la nouvelle révolution française par JL Mélenchon
La cause de la critique, c'est la cause de la démocratie
« La cause de la critique, c’est la cause de la démocratie », belle réflexion qui vient clore les propos de Luc Boltanski, sociologue, interrogé par le journal le Monde ( 12/07/2012) sur sa prochaine « leçon inaugurale » lors des XXVIes rencontres de Pétrarque qui se tiendrontles 16-20 juillet 2012 à Montpellier sur le thème « Notre avenir est-il démocratique ? »
La cause de la critique, on pourrait dire aussi que c’est la cause de la philosophie, c’est d’ailleurs sur ce terrain là qu’elle a acquis ses lettres de noblesse : il suffit d’évoquer l’oeuvre de Kant , pour ne citer que lui, et sa » critique de la raison pure » ou « de la raison pratique ».
Mais revenons sur le terrain de la sociologie et de la politique .
La critique n’a pas bonne presse en général, c’est le résultat de l’effet « pensée dominante ». On passe son temps à faire le distinguo entre la bonne et mauvaise critique, entre la critique constructive et celle qui ne l’est pas. La critique, on en pleure ou on en rit, elle serait sentimentale, émotionnelle plus que rationnelle. Elle ferait perdre du temps dans notre monde tyrannisé par l’urgence : quel militant n’a pas présent à l’esprit telle réunion où la critique est renvoyée dans les cordes du haut d’un « il faut avancer, on ne va pas s’attarder là-dessus ». La critique qui pulvérise des bénis oui oui de toutes sortes, si elle n’est pas confortable, est pourtant nécessaire, voire déterminante dans le champ politique : il faut donc s’y préparer plutôt que la nier.
Luc Boltanski développe l’idée que la critique est « réflexivité ». Ainsi on pourrait dire qu’elle met en œuvre un pouvoir d’interprétation, d’aménagement qui met en scène l’être humain face aux situations auxquelles il participe. Le sociologue est conduit à observer que « la critique s’ancre dans la singularité des personnes et des situations ». Somme toute, la critique serait la marque de la diversité ,de « l’humain d’abord ».
Curieusement on retrouve la notion de réflexivité dans les écrits de ce grand argentier, philosophe qu’est George Soros (voir « Le chaos financier mondial » ed presses de la cité ou « l’Alchimie de la Finance »). Il en fait le cadre conceptuel de son approche des marchés financiers à l’inverse des théories économiques qui « excluent de façon dogmatique toute considération de la faillibilité et de la réflexivité » Il critique la raison financière et la rationalité ultralibérale qui écartent à tort le principe d’incertitude lié à l’activité humaine. Pour tous ceux qui croient en l’efficience du marché financier et à la théorie des anticipations rationnelles, G Soros passe pour un hurluberlu. Les temps de crise que nous traversons prouvent qu’ils ont tort : là où la régulation politique fait défaut la critique a du mal à s’imposer. Mais les instances financières ne sont pas les seules à mettre en cause.
On peut affirmer, à la suite de Luc Boltanski, que « c’est le fait même d’être confronté à la critique qui donne vie aux institutions » et que « ce qu’elles édictent (en règles c’est-à-dire en contenus du principe d’obéissance) n’est justifiable qu’à la condition de demeurer ouvert à l’interprétation et à la critique.(…) « Si l’on veut restaurer la croyance dans la démocratie, il faut défendre la cause de la critique »
Aprés la fonction « cognitive » qui nous éveille ( la curiosité) la critique doit assurer la fonction causative qui nous anime ( la contradiction) L’une ne va pas sans l’autre.
L’émancipation politique, entendue comme un égal accès à la critique, et la possibilité de l’exprimer comme de la manifester, apparaîtrait comme une exigence nécessaire de la société démocratique. Point de raison d’Etat, point de volonté de dissimulation ou mensonge des autorités. La critique trouve son creuset dans la transparence.
Poser l’émancipation politique par la voie ( ou la voix) de la critique, revient à tracer le chemin de l’engagement politique, celui qui redonne à l’action politique la force de se soustraire aux conservatismes de tous ordres et ouvre vers d’autres possibles. L’enjeu est évidemment à l’ordre du jour en période de crise du capitalisme.
Or l’engagement politique est paradoxalement réducteur de l’esprit critique et les partis politiques qui sont censés organiser la critique ne sont pas conçus comme lieux de dispute, on a pris l’habitude d’exporter la discussion qui se fragmente à l’extérieur. Ces facteurs, on l’aura compris, favorisent à la fois professionnalisation de la politique, primat des logiques électoralistes et désaffection du citoyen qui rechigne à s’encarter.
Toute organisation partisane devrait cependant prendre soin de veiller à son émancipation interne : la liberté de critique. Cette tâche est ardue, cependant on ne peut s’y dérober si on a la prétention d’appliquer le principe à la société toute entière.
La tolérance au précariat et à l'enrichissement sans limites Denis Clerc et Thierry Puech , économistes
Denis CLERC est fondateur et éditorialiste à Alternatives Economiques ( biblio amazone)
Il a écrit en 2008 avec une réedition en 2011 « La france des travailleurs pauvres » Retour sur la pauvreté en dessous du seuil de 880 euros par mois . 2 millions de travailleurs se situent en dessous de ce seuil : ce sont les travailleurs pauvres dont les salaires sont insuffisants pour vivre .
Thierry PUECH directeur de la rédaction du mensuel Alternatives Economiques vient de publier Le Temps des riches. Anatomie d’une sécession. Éditeur : Seuil Collection : Essais 06/10/11 N° ISBN : 2021041093
La France est le théâtre d’un puissant mouvement de sécession des riches. Installés comme en apesanteur au-dessus de la société qui les a fait rois, ils semblent avoir oublié jusqu’au souvenir de ce qu’ils lui doivent. Ils suscitent pour cette raison une indignation croissante et légitime. Mais la sécession des riches est aussi l’œuvre d’une époque marquée par le culte de la réussite individuelle, la fascination pour l’argent et le refus de l’impôt.Cette contradiction est la signature d’une démocratie déchirée entre la religion de la compétition et les impératifs de la solidarité.
Commentaire de Nonfiction et de son journaliste
» Le rapport que nous entretenons avec les plus riches de la société est toujours empreint d’ambivalence. D’un côté, ils fascinent. Il suffit pour cela de constater le succès jamais démenti des journaux dont les histoires de familles des plus puissants, leurs problèmes de succession ou leurs intrigues amoureuses sont le fonds de commerce. De l’autre, ils dérangent, ils exaspèrent surtout lorsqu’on met en regard leur mode de vie opulent avec celui des couches les plus défavorisées. Surtout aussi lorsque ce mode de vie est une source manifeste de gaspillage dans un contexte de ressources limitées.
Une maladie de la République
Mais Thierry Pech, dans son livre Le temps des riches, va bien au-delà de ces constats classiques. Car comme le soulignait John Kenneth Galbraith, en citant Plutarque, dans un article récemment réédité en français : « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ». Et le grand économiste keynésien d’ajouter : « le problème résultant de cette coexistence, et particulièrement celui de la justification de la bonne fortune de quelques uns face à la mauvaise fortune des autres, sont une préoccupation intellectuelle de tous les temps. Il continue à l’être aujourd’hui ».
Le processus de « sécession des riches »
Ce qui intéresse Thierry Pech, c’est de montrer qu’après une baisse constante et régulière de la proportion des riches dans la population pendant les Trente glorieuses, le phénomène s’est inversé depuis le début des années quatre-vingt, en prenant une ampleur et un visage inédits. Au point que la démesure de ce phénomène conduirait aujourd’hui à ce que l’auteur appelle un véritable « processus de sécession des riches ». Thierry Pech s’attache en effet à expliquer l’étendue du phénomène, à en comprendre les mécanismes et surtout à en montrer l’absurdité tant du point de vue économique que du point de vue politique puisqu’il met à mal les promesses de notre pacte républicain. Il le fait avec méthode et pédagogie en posant quelques questions-clés qui structurent son ouvrage. « Comment les riches sont devenus un problème ? » se demande-t-il d’abord. Certes, c’est la partie la plus classique du livre. Mais l’auteur met en lumière les lacunes des services statistiques qui se sont contentés pendant longtemps d’une mesure assez grossière des inégalités, notamment par la mesure de l’écart interdécile. Il aura fallu attendre 2010 pour que soient publiées les premières statistiques fines sur le haut de la distribution des revenus des ménages. Ainsi en sait-on plus aujourd’hui sur ce que représentent les ressources financières des 1% (puis des 0,1% et même les 0,01%) des mieux lotis et combien de personnes cela concerne. Pour faire partie de ce club très fermé, il faut disposer d’un revenu mensuel de plus de 10 000 euros par personne. En France, ils sont quand même 580 000 à évoluer dans ces altitudes stratosphériques.
Une maladie de la République
Mais Thierry Pech, dans son livre Le temps des riches, va bien au-delà de ces constats classiques. Car comme le soulignait John Kenneth Galbraith, en citant Plutarque, dans un article récemment réédité en français : « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ». Et le grand économiste keynésien d’ajouter : « le problème résultant de cette coexistence, et particulièrement celui de la justification de la bonne fortune de quelques uns face à la mauvaise fortune des autres, sont une préoccupation intellectuelle de tous les temps. Il continue à l’être aujourd’hui ».
La sécession des riches, le choix collectif de notre société
« Pourquoi les riches ne sont pas des êtres hors du monde ? » interroge alors l’auteur dans la deuxième partie du livre. Ici, la démarche se fait plus analytique. Comment expliquer en effet les revenus mirobolants de certains grands patrons, de quelques artistes et sportifs souvent très médiatiques ou encore des traders qui jonglent avec des milliards par de simples « clic » ? Inutile de s’attarder sur leur talent individuel ou leur productivité marginale nous dit Thierry Pech. En dehors de ceux pour lesquels la fortune est d’abord le fruit de l’héritage, leurs capacités, si inhabituelles soient-elles, ne peuvent expliquer leurs rémunérations « hors sol ». L’essentiel de l’explication réside ailleurs. L’envolée des très riches (tant leur rémunération que leur nombre) est avant tout la conséquence des mécanismes inégalitaires et la résultante « de rapports de force déployés à grande échelle ». Bref, ce phénomène, qui ne bénéficie qu’à une petite minorité, est d’abord le choix collectif d’une société devenue de plus en plus « permissive » à cet égard.
Alors, comment la société a-t-elle organisé la sécession des plus riches ? C’est la troisième question à laquelle l’auteur tente de répondre dans la dernière partie du livre, la plus percutante et la plus démonstrative. Thierry Pech ne ménage pas son talent pour montrer comment les différents ingrédients ont permis à la mayonnaise de monter. « Il aura fallu, pour en arriver là, le concours actif d’un capitalisme globalisé et largement financiarisé, de politiques fiscales toujours plus accommodantes, de justification économiques contestables et enfin, d’une religion personnelle portée haut sur la paroi d’un individualisme « désamarré » « .
La théorie du « ruissellement »
Pour lui, c’est pour une grande part la théorie du « trickle down » qui a servi de justification première à la politique du « relâchement du frein fiscal ». Un certain nombre de théoriciens libéraux en effet sont convaincus que plus une société compte de gens riches, plus la fortune de ces derniers « ruissellera » le long de la pyramide sociale et par là même « fertilisera » les couches inférieures par le biais de la consommation, l’investissement, etc… Bref, plus les riches sont nombreux, plus la société sera tirée vers le haut grâce à une sorte de redistribution qui emprunterait les canaux de décisions privées plutôt que celles de l’Etat et ses prélèvements obligatoires jugés inefficace. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre des politiques qui favorisent l’enrichissement personnel et l’augmentation de la population des riches. Il est vrai que, depuis le milieu des années quatre-vingt, les allègements fiscaux sous diverses formes ont été appliqués avec une certaine continuité malgré les alternances politiques. Au point que Thomas Piketty, économiste spécialiste des hauts revenus et de la répartition des richesses, indiquait récemment dans une interview au journal Le Monde que la France était quasiment devenue un paradis fiscal, un pays en tous cas « où la sécession fiscale est la plus complète, avec un impôt sur le revenu en voie de disparition et qui n’a plus de « progressif » que le nom » .
Evolution de la conception de la justice sociale
Parmi les influences théoriques qui ont permis cette « sécession des riches » sans doute faut-il aussi ajouter celles qui ont fait évoluer notre conception de la justice. Dans ce domaine, la théorie de la justice du philosophe américain John Rawls (qui date du début des années soixante-dix) a aussi joué un rôle non négligeable, à laquelle pourtant Thierry Pech ne fait que des allusions lointaines. En France, cette théorie a été popularisée par Alain Minc dans son livre à succès La machine égalitaire paru en 1987 (Grasset). Une des pierres angulaires de cette théorie est ce que Rawls nomme « le principe de différence ». Selon ce principe, les inégalités sont légitimes dès lors qu’elles contribuent à maximiser le sort du plus mal loti. Les inégalités sont justifiables pour autant qu’elles ont un effet incitatif : accroître le bien-être des plus malheureux. Par un incroyable retournement idéologique qui s’apparente, comme le souligne Denis Clerc dans La France des travailleurs pauvres , à un véritable hold-up, l’équité (prônée par Rawls) en est donc arrivée à justifier les avantages accordés aux plus riches.
Or, malgré les nombreux cadeaux fiscaux, les faits montrent que depuis près de trente ans le sort des couches défavorisées ne s’est guère amélioré. Que l’on songe par exemple à l’irruption de ce qu’on appelait à la fin des années quatre-vingt « la nouvelle pauvreté » ou plus récemment à la montée du phénomène des travailleurs pauvres. La crise déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers fin 2008 n’a, quant à elle, pas encore fini de produire ses effets. Les conséquences sociales de cette crise sont sans doute encore largement devant nous.
Ressentiments et bonne conscience
Cette situation est certainement à l’origine, comme le souligne Thierry Pech, de la colère et du ressentiment qui s’expriment de plus en plus aujourd’hui dans la société. Les rapports entre inégaux ne sont en effet jamais exempts « de passions ou de sentiments moraux » pour reprendre l’expression du père de l’économie politique, Adam Smith.
L’expression grandissante de ce ressentiment n’est d’ailleurs pas sans rapport avec la récente revendication de certains « très hauts revenus » (ou plutôt « ultra-riches »), à la suite de Warren Buffet, demandant à payer plus d’impôts (*) ( Il est symptomatique aussi de constater que cette surprenante revendication ait été l’initiative de celui qui reconnaissait ne pas devoir son énorme fortune à ses seuls talents. Warren Buffet déclarait en substance il n’y a pas si longtemps que, placé sur une île déserte, il ne s’en sortirait sans doute pas beaucoup mieux qu’un autre.
Faut-il y voir un début de prise de conscience ? Même si, comme le souligne Thomas Piketty, leur démarche consiste surtout à se donner « bonne conscience à peu de frais », de telles déclarations amorcent pourtant un tournant auquel même la droite n’a pu rester insensible. Il est cependant frappant de constater la difficulté que pose le rétropédalage auquel se livre actuellement le gouvernement(**), en détricotant ce qu’il a tricoté au début du quinquennat : l’abandon du bouclier fiscal. Et qui se fait par d’importantes concessions aux plus riches sur l’ISF… !
(*)note de monpostdemocrate: Warren Buffet une des plus grandes fortunes américaines, est aussi celui qui a dit « si la lutte des classes existe , c’est nous les riches qui l’avons gagné »)
(**) note de monpostdemocrate d’actualisation : il s’agit du gouvernement Sarkozy démissionné par le peuple le 6 mai 2012
Réintroduire « le poids du monde »
Pour finir, Thierry Pech ne formule pas de propositions concrètes qui pourraient nous permettre de sortir de l’impasse dans laquelle trente ans de politique fiscale inspirée par des théories douteuses nous ont enfermés. Il suggère néanmoins quelques principes en insistant sur le fait que la sécession actuelle des très hauts revenus repose, entre autres, sur « la promotion de critères de répartition de la richesse qui marginalise la dette sociale ». C’est-à-dire sur ce que chaque individu devrait reconnaître devoir à la société dans son ensemble dès sa venue au monde. Et il ajoute : « il est urgent (…) de proposer une autre pondération des critères et de réintroduire dans la réflexion comme dans les pratiques ce que l’on pourrait appeler le poids du monde ».
Rappelons enfin que Thierry Pech était, à la veille de la précédente élection présidentielle en 2007, à l’origine d’une campagne revendiquant une nécessaire hausse des impôts pour les plus favorisés d’entre nous. Cette campagne avait eu un succès certain dans l’opinion en recueillant des dizaines de milliers de signatures. Cinq ans ont passé, une nouvelle élection présidentielle approche et Thierry Pech est resté constant et cohérent avec sa ligne de conduite. Ce qui explique sans doute pourquoi son livre est percutant, bien écrit et d’une grande maturité dans la construction de sa réflexion : la sécession des riches est d’abord une régression de la démocratie
L' anthropologue Emmanuel TERRAY nous parleje voterai pour Mélenchon …vraisemblablement
Emmanuel Terray né en 1935 est un anthropologue français de formation philosophique.Agrégé de philisophie, il s’oriente vers l’anthropologie politique, discipline dont il devient un grand nom sous l’influence de maîtres à penser comme Louis Althusser, Georges Balandier, Claude Lévi-Strauss
